Métal

Photographies numérotées, impression à encres sur dibond.

Métal

Restituer la couleur, la forme, l’aspect du métal quand on travaille la terre, la toile ou le papier : c’est d’abord cela l’idée de rêve du métal. Le métal rêvé, le métal absent de ces techniques artistiques, évoque moins un défaut ou un manque que l’idée d’un univers à explorer.  C’est ce choix qu’ont fait Jacqueline Bilheran-Gaillard et Marie-Rose Gutleben : confronter leur imaginaire du métal.

Comme la rêverie procède par associations d’idées, par contagion des formes et des couleurs, développant des variantes autour d’un thème récurrent, l’imagination du métal dans tous ses états devient prétexte à d’infinies variations sur le rendu, la texture, l’aspect, le toucher, le reflet. Sculptures, peintures et photographies se font écho, renvoyant les unes aux autres ou s’opposant en contrepoints.

Le rêve du métal se construit sur des valorisations opposées. La plus immédiate, et la plus faussement évidente, est la valeur de dureté, qui connote tantôt la solidité, tantôt la froideur. La dureté du métal résiste à l’outil qui veut la forcer. Sa surface lisse oppose à ce qui prétend la pénétrer une froide résistance, tellement étrangère aux valeurs moites de la sueur et de l’effort musculaire. Le métal lisse et poli est pourtant l’indice de l’art qui l’a fabriqué : il masque et montre à la fois l’œuvre du marteau ou de la presse qui lui a donné cet aspect, en effaçant, par la force même, les traces que les coups auraient dû laisser. Premier paradoxe que celui de la dureté lisse du métal.

La froide solidité du métal cache et révèle à la fois la violence du feu dont il est né, celui des profondeurs telluriques dont a jailli le minéral, celui, domestiqué, de la forge ou du haut-fourneau. Nouveau paradoxe. Le métal, c’est la puissance, « le rêve même du paroxysme du feu » comme le dit Gaston Bachelard, né du feu et de la terre, d’un feu maintenu dans sa furie excessive par la volonté de l’homme qui se fait démiurge. La rêverie métallurgique est un idéal de puissance. « Le métal est le prix d’un rêve de puissance brutale, le rêve même du feu excessif ».

Le métal, c’est la minéralité. Rien de moins vivant, rien de moins organique. Et pourtant. La rêverie du métal se prend au jeu de ses multiples avatars, comme les transformations d’un organisme qui accomplit son cycle vital. Les altérations de la rouille, cicatrices du temps sur la peau sanglante des choses, suggèrent la décrépitude du vivant, l’écrasement des formes mime l’avachissement de la vieillesse, l’intrication des pièces enchevêtrées semble forêt végétale ou colonie animale.

Dans le bronze, l’airain, le cuivre, le fer, le plomb, il y a autant de valorisations inconscientes que dans l’or ou l’argent. Tout métal semble rare et suggère une histoire. Le rêve de métal a le parfum de l’aventure, celle de la mine et du prospecteur. Même triviale, la substance métallique est comme un trésor. Quand elle jaillit du four en coulée incandescente, en gerbes étincelantes, c’est de l’or qui s’offre à l’imaginaire.

L’industrie qui nous livre le métal avec un aspect uniforme et des lignes épurées, suggère l’idée d’un corps simple, que conforte le vague souvenir scolaire de la classification des éléments de Mendeleïev. Comme si le métal sortait pur et achevé de la gangue minérale dont il est extrait. Oubli des alliages, de la fonte, du mélange. Oubli du lent travail de fusion qui fait remonter la métallurgie à la nuit des temps, à la fin du néolithique.